Dans un village, un garçon de sept ans disparaît mystérieusement pendant quelques mois, puis est retrouvé, et revient à l’école. Ses cheveux sont devenus bleus, et il n’a plus aucun souvenir. Son vocabulaire aussi s’est modifié : son camarade Noah devient « Pullépinard », un livre un « zoizeauplat »… Les autres enfants, fascinés par sa transformation, essaient de l’aider à retrouver la mémoire. Dans l’espace de l’école et le temps d’une journée, ils vont réinventer avec lui le secret de sa disparition. Cette pièce, en jouant avec la langue, convoque l’amitié, et le formidable pouvoir de résilience de l’imaginaire.
L'ENFANT AUX CHEVEUX BLEUS
Matin. Une cour de récréation. Au loin, on aperçoit une dense, immense forêt.
Les enfants
T’as entendu ça ?
Quoi ?
Ho, tu sais pas ?
Quoi ?
Ta mère te l’a pas dit ?
Dit quoi ?
C’est écrit là ! Tu sais pas lire ?
Oh ça va ! Toi-même !
Puisque c’est comme ça tu sauras pas !
Moi je sais déjà !
Mais quoi ?
Je te le dirai pas nanana !
Eh oh les CP ! Z’arrêtez de faire les bébés !
Ils l’ont retrouvé !
Qui ?
Celui qu’a disparu…
Quand ?
J’sais pas, y a longtemps…
Pas si longtemps que ça !
Il s’appelle… J’sais plus comment.
C’est marqué là ! Clément.
Ah oui, Clément ! Clément… J’sais plus comment.
Ah oui, lui !
Une fois je lui ai donné une Tête brûlée… il a pas dit merci.
Toi non plus tu dis pas merci !
Aïe me tire pas la couette !
Dis mer-ci !
Merci de quoi ?
De rien dis-le !
Hé ho les bébés ! Z’arrêtez ça maintenant !
Il a les yeux… marron je crois.
Les cheveux blonds.
Tout petit, comme ça.
Si petit ?
Il a disparu un jour, sa sœur l’a cherché, ses parents l’ont cherché, les gendarmes l’ont cherché…
Son chien pleurait tout le temps. Je le sais, j’habite à côté.
Le FBI l’a cherché…
C’est vrai ?
Tous les journalistes de toute la terre en ont parlé.
Non, là c’est pas vrai.
Et puis un jour, ils ont plus cherché. Mon père et ma mère disaient « c’est tellement triste », comme si c’était leur fils. Ma mère pleurait. Et le chien qui hurlait.
Comment il s’appelle ?
Clément je t’ai dit.
Le chien, comment il s’appelle le chien ?
Ura… quelque chose, un nom de planète, il aime bien l’espace Clément.
Il pleure toujours le chien ?
Non, il a plus voulu manger, même de la viande. Alors ils l’ont emmené au vert.
C’est quoi le vert ?
Au milieu de la campagne, espèce de bébé, là où y a pas de maisons.
Pas de maisons du tout ?
Si une seule, une grande ferme.
Et Clément, il revient quand ?
Ce matin. Il paraît…
Quoi ?
Qu’un truc bizarre lui est arrivé, mais je sais pas ce que c’est.
Le voilà !
Il a un bonnet.
Bah quoi ?
Il fait chaud, niquedouille !
Peut-être qu’il a plus de cheveux ?
Il était en prison, ils lui ont tout rasé !
Mais t’arrêtes, on va pas en prison à sept ans !
La maîtresse !
Ils se rassemblent. Elle va les faire rentrer.
J’y vais !
Moi aussi.
Ils l’ont mis dans la classe de CE1 ?
Bah oui c’est son groupe, il les connaît déjà.
C’est pour qu’il ait pas peur. Parce que imagine qu’il ait été enlevé, et enfermé dans une cave, et…
Et quoi ?
Il serait trau-ma-ti-sé.
On sait pas, on peut pas dire.
N’empêche, faudra attendre la récré, pour voir s’il a encore son bonnet.
(...)
Dans la salle de classe. Tous chuchotent.
Ambre (un cheveu sur la langue)
Quand on est entrés
A pas de loup
Aux aguets comme le renard rapide
Constance m’a pincée
« Pince-toi je rêve » elle a dit
J’ai même pas crié
Non j’ai pris sa main fort fort
Et on l’a regardé
Avec nos bouches qui faisaient des « o »
Constance
Dans la classe y avait une petite brise
Comme au bord de la mer
Les yeux bruissaient comme des vagues
Puis des murmures de vent frais se sont levés
La maîtresse a dit chut
Et le vent est tombé
Les vagues se sont retirées en faisant des pointes
Y avait plus que lui au milieu qui regardait ses bottes de pluie
Avec les pieds de travers comme ça
Et ses cheveux tout fous légers devant ses yeux
Comme un morceau de ciel arraché aux nuages
Ses cheveux
Bleus
Anatole
C’était pas le bleu des perruques de Halloween
C’était pas les cheveux bleus de ma cousine Arminthe qui fait la maline
C’était…
Ca bougeait tout seul tellement c’était léger
Un truc super fin comme de la soie comme des poils de chaton des cheveux de bébé
Nassim
Y en avait plein
Ils allaient presque jusqu’à sa bouche
Il soufflait dessus pour les faire envoler
Noah
C’était pas un seul bleu, non
Il y avait
Il y avait tous les bleus de la terre
Surtout les clairs
Mais y avait aussi du foncé quand il les bougeait
Des ombres
Elvire
Il était transformé
Je suis ins-tan-ta-né-ment tombée amoureuse
On aurait dit un personnage des mangas de ma sœur
Un prince divin en bottes de pluie
Le prince Bleu
Le magicien des eaux
A sa main il tenait une branche toute verte de mousse
La maîtresse a dit : « Tu peux t’asseoir ici Clément, à côté d’Ambre »
Elle lui même pas demandé de poser la branche
« C’est parce qu’il revient de loin » dirait la voisine Amanda
Mais moi je crois pas la voisine Amanda
Je crois que Bleu a des pouvoirs magiques
Et que la maîtresse le sait
Elle sait tout c’est son métier
PRIX JEUNESSE 2022 DES ECRIVAINES ET ECRIVAINS ASSOCIES DU THEATRE (EAT)